Oserais-tu ? [ PV : ... ]

Give me your life.

Calarenne Ulvilienne, général elfique de son état, était d’humeur pensive, ce soir-là. Ce n’était pas vraiment son habitude, en fait, mais cela lui arrivait de temps en temps. Il songeait aux temps de jadis, quand le monde lui semblait plus vaste, et voué à plier devant les invincibles Armées des Elfes. Avant la déchéance d‘Arès. Avant la malédiction du Dieu du Plaisir. Avant la rancœur de la Déesse soi-disant suprême. Il ne songeait presque jamais à ce qui c‘était passé avant la Grande Guerre contre les Démons. C‘était si loin, et ça l‘intéressait si peu. Il était vraiment venu à la vie quand il avait découvert l‘art pour lequel il avait été fait, comme tous les Elfes sont faits pour un art : l‘art du combat. L‘art de faire la guerre. L‘art de prendre des vies. L‘art de répandre du sang, de donner la mort et de sortir vainqueur. Cet art qui le faisait frissonner dans chaque fibre de son âme trempée de sang.

Il chevauchait lentement sur son étalon rouan, sans faire spécialement attention au paysage. Il avait laissé la petite compagnie qui l‘accompagnait dans une auberge, et errait sans but précis, pour penser. L‘équipement de sa monture était simple et pratique, comme celui d‘un soldat ordinaire. Il ne voyait pas l‘intérêt de l‘ostentatoire quand il n‘y avait nulle raison à cela. Sa large cape de fourrure, gardée ouverte sur son torse puissant par des lanières de cuir passées dans deux attaches d'acier forgée à ses armoiries personnelles, avait flotté dans son dos, un peu plus tôt, quand il était partit de la taverne au galop, mais elle reposait maintenant derrière lui, sous ses longs cheveux blancs comme la neige, qui tranchaient si bien avec sa peau hâlée, presque sombre. Sa double-lame reposait elle aussi dans ledit dos, alors que son long et large poignard battait sa ceinture à boucle de bronze, collé à la large bande de tissu qui, quand il était à pied, descendait le long de ses jambes.

Malgré ses vêtements qui auraient pu être ceux d‘un mercenaire elfique, il y avait dans son regard d‘émeraude, dans les traits de son visage, un peu durs malgré leur beauté inhérente à son peuple, un air de commandement, une confiance, qui ne trompaient pas. Même songeur, il restait l’un des plus grands, anciens et puissants généraux des Armées des Elfes, élève de la Déesse de la Guerre en personne au temps de sa splendeur, et il aurait fallu être stupide pour le confondre avec un soldat comme les autres. Intérieurement, il se secoua. Penser à cela lui avait fait penser à Arès, et comme toujours c’était une source de regrets, presque de mélancolie. Oh, comme ils auraient pu être glorieux si tout avait mieux tourner, sans la jalousie des Dieux ! Le monde aurait déjà ployé sous le joug des Elfes ! Mais penser à cela ne lui valait rien, et il était temps pour lui d’arrêter les rêveries. Il était un soldat, depuis de si longues années maintenant, et un soldat ne rêvasse pas.

Alors même qu’il se secoua intérieurement, il aperçu une maison de bourgeois, non loin, et puis une silhouette, sur la route. La silhouette d’une femme solitaire. Il n’avait pas de lumière, mais il avait des yeux d’Elfe, et savait s’en servir. Il laissa son cheval avancer droit sur elle, il le dirigea même imperceptiblement vers elle, pour voir ce qu’elle ferait… Une femme seule qui marchait dans un sentier paumé comme si de rien était, avec confiance… C’était louche.

Give me your pain
Choose a new name
Close your eyes and
Start again;

Spoiler:

Quant il arriva en vue « normale » de la jeune femme, celle-ci s’arrêta, semblant se tourner légèrement vers lui. L’observait-elle ? Avait-elle peur, malgré son assurance ? Calculait-elle ses chances contre lui ? En tous cas, elle ne prit pas la fuite, se contentant de rester là, sur place, un petit moment. Calarenne était autant intrigué que suspicieux, maintenant. Que pouvait-elle faire là ? Il ne craignait pas grand-chose lui-même. Il savait qu’il pouvait attraper son arme favorite en quelques battements de cœurs, et il avait confiance dans sa capacité à défaire n’importe quel ennemi avec elle. Il n’était pas né d’hier, et avait de très, très nombreux combats derrière lui. Des combats dont il était toujours sortit vainqueur… La preuve, il était encore vivant pour penser cela. En dehors de son talent, il avait aussi eût un excellent professeur… Ou une, pour être plus exact. La meilleure qui soit : la Déesse de la Guerre en personne.

Il continua donc son avance, tranquillement, sans se presser ni ralentir. Peut-être était-ce celle qui habitait dans cette maison isolée et bourgeoise, mais il ne voyait pas ce qu’une bourgeoise ferait si tard dehors. Surtout seule. Son humeur pensive aurait au moins eût l’utilité de lui donner une occasion de réfléchir un peu, et peut-être même, qui pouvait savoir, de faire une rencontre un peu intéressante. Car le gros inconvénient de ces temps de « paix » relative, c’était qu’il s’ennuyait, la plupart du temps. Oh, il y avait les escarmouches et les intrigues politiques, mais ça manquait encore trop de bonnes grosses batailles et de massacres sanglants, à son goût. Un autre gros inconvénient étant tout simplement qu’il n’y avait pas de guerre. Ors, Calarenne aimait la guerre. Le sang, les tripailles, la mort, tout ça… Hormis quelques duels, bien rares, il n’y avait rien d’autre pour lui faire battre le cœur de cette façon, pour le faire se sentir tellement… Vivant.

Mais, là-bas, à une dizaine de mètres de lui, la jeune femme c’était remise à marcher. Il détailla son profil de ses yeux inhumains, et acquis la certitude qu’elle n’était pas une Elfe, alors qu‘il savait que c‘étaient des Elfes qui vivaient là. Définitivement, tout cela était étrange, et il comptait bien tirer tout ça au clair. Pas que l’ordre de ce lieu l’intéresse tant que ça, mais puisqu’il n’avait rien de mieux à faire, là tout de suite…

« Halte là, jeune femme. Que faites-vous en ces lieux ? »

Il s‘était arrêté lui-même en disant cela, à peut-être un mètre de la jeune femme, le vent jouant doucement avec sa large cape. Il n‘avait pas haussé la voix, n‘avait pas été agressif, mais il y avait dans son ton même une autorité sûre d‘elle, affermie avec les siècles et les siècles de commandement sur les armées Elfes placées sous son commandement…

Spoiler:

Halte là, jeune femme. Que faites-vous en ces lieux ?

Qui êtes-vous pour oser adresser la parole à une inconnue ? Ce que je fais en ces lieux ne vous concerne pas, Elfe.

Spoiler:

Calarenne avait bien entendu un point de vue tout différent de celui de la « jeune » femme - tout était relatif, hein - sur l’importance accordée à l’appartenance de ces bois. Oh, il ne se passionnait pas tant que cela pour les forêts et tout le reste, il était un Elfe citadin depuis des années si longues qu’il en avait perdu le compte et ne regrettait pas un instant la vie dans la forêt du début de leur histoire. Mais bon, c’était tout de même leur territoire, et le but même d’une armée, dans la plupart des cas, est de protéger le territoire d’une nation. Et éventuellement d’envahir le territoire des nations voisines, mais comme personne ne voulait le laisser s’amuser en faisant cela, il devrait bien se contenter de protéger celui qu’ils avaient déjà. Y comprit, quand il n’avait rien de mieux à faire, des intrus qui pouvaient éventuellement se glisser dessus. Certes, ce n’était pas, fondamentalement, le travail d’un Général, mais, au fond, il restait quand même un soldat…

Ce fût pour cette raison, essentiellement, qu’il lança son injonction. Enfin, disons que c’était la raison valable, l’autre, la principal, étant plutôt la recherche d’un peu de distraction. Qui pouvait savoir si cette inconnue n’était pas une redoutable guerrière qu’il allait lui falloir couper en morceau, ou une autre joyeuseté du genre ? C’était assez effrayant d’immaturité chez un être aussi vieux et sensément sage, mais Calarenne était mû, la plupart du temps, par se simple besoin de distraction, cette envie de frisson. C’était pour cela qu’il avait aimé la guerre, dès la première fois. Pour ça qu’il adorait se battre depuis qu’Arès lui avait apprit à le faire. Et c’était sans doutes aussi pour cela qu’il faisait un si bon Général. Il ne servait pas tant par devoir que… par plaisir. Par amour de la guerre, du combat, et de tout ce qu’ils impliquaient, y comprit la recherche de potentiels adversaires ou des moments comme celui-ci, ou l’inconnu planait comme un vautour sur ses ailes noires.

En tous cas, quelle qu’elle fût, la promeneuse nocturne avait des réflexes - quoique sans doutes pas assez de capacité d’observation. Elle fit un bond en arrière quand il lança son ordre et sa question, se retournant totalement sur lui, visiblement sur ses gardes… Maintenant. C’était bien. C’était mieux ainsi. Une adversaire - il n’avait aucune raison de la considérer autrement pour le moment - qui ne faisait pas attention mourrait généralement trop vite… Ils restèrent quelques instants figés, l’un en face de l’autre, jusqu’à ce que la jeune femme se décide à répondre…

« Qui êtes-vous pour oser adresser la parole à une inconnue ? Ce que je fais en ces lieux ne vous concerne pas, Elfe. »

Sa voix avait quelque chose de monocorde, d’un peu froid, qui n’était pas des plus plaisant. Il lui rendit un long regard qui ne cillait pas, aussi dur et chaleureux que de l‘acier, toujours droit sur sa monture immobile. De nouveaux instants coulèrent entre eux dans un flot lent en glacé.

« Je suis Calarenne, Général des Armées Elfiques. Et vous êtes présentement dans des bois elfiques, jeune femme. »

On aurait vainement cherché la moindre petite trace d’une quelconque arrogance dans sa voix quand il lui donna son nom et son rang. Ce n’étaient que des faits, comme n’importe quel fait, et ils ne l’avaient jamais troublé outre mesure. Gagner le rang pouvait être amusant, mais s’en draper comme d’un manteau d’orgueil aurait été totalement dénué d’intérêts.

« Cela me donne le droit de vous poser cette question. Et même d’en attendre une réponse, si vous voulez tout savoir. Ce que vous faites sur les terres de mon peuple me regarde, car j’en ais la garde, entre autres choses… »

Il ne l’avait pas nominativement, certes, mais dans l’absolu c’était la plus pure vérité. Et il avait largement toute l’autorité nécessaire pour questionner, appréhender ou massacrer toute personne qu’il jugerait suspecte ou dangereuse pour les siens…

Je suis Calarenne, Général des Armées Elfiques. Et vous êtes présentement dans des bois elfiques, jeune femme.

Cela me donne le droit de vous poser cette question. Et même d’en attendre une réponse, si vous voulez tout savoir. Ce que vous faites sur les terres de mon peuple me regarde, car j’en ais la garde, entre autres choses…

Ce que je fais en ces lieux, vous dites bien ? Oh, simplement du nettoyage, Calarenne.

Vous m'excuserez.. Mais je n'ai plus le temps de bavarder.

Cela faisait longtemps maintenant que Calarenne ne se considérait plus comme jeune. Des siècles s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’il avait pensé à lui-même en s’adjoignant ce qualificatif. Il avait vu grandir et mourir, par les armes, le poison ou, plus rarement, la maladie, de bien nombreux Elfes. Bien trop pour ne pas sentir les ans glisser sur ses épaules dans leur lente course infinie, quoiqu’il ne s’y appesantisse pas. Il n’était pas moins vif aujourd’hui qu’hier, ou qu’un siècle au par avant. Seulement plus roué encore, et encore un peu mieux entraîné. C’étaient ainsi qu’allaient les choses, pour lui tout du moins. Il jouait au jeu subtil que les siens avaient nommé « politique », il faisait la guerre, il se battait - toujours, toujours se battre - et surtout il s’entraînait. Pour tout un tas de raisons qui trouvaient toutes grâce à ses yeux, et dont la moindre n’était sans doutes pas le simple plaisir de se perfectionner encore et toujours.

Et c’était en partie pour tout cela que son regard ne vacillait pas, alors qu’il contemplait celle dont le chemin avait croisé le sien en ce jour. Il n’y avait pas d’arrogance en lui - pas en matière de combat, en tous cas - mais bien de la confiance. Une confiance tranquille, qui était loin d’être infondé. Son droit reposait non seulement sur son rang mais aussi, à ses yeux, sur la prérogative universel de l’être fort et armé à prendre tous les droits qu’il voulait. Car il ne s’était jamais fait d’illusions à ce sujet. Le droit reposait uniquement sur le pouvoir et la force, les siens ou ceux de quelqu’un d’autre. Une partie de lui - une partie importante de lui, pour être exact - souhaitait presque que la jeune femme refuse de répondre, ou le fasse de façon menaçante, et en tous cas que tout cela débouche sur un combat sanglant où elle lui réserverait l’agréable surprise d’être une combattante de haut vol. Calarenne n’aimait pas le pacifisme. Il aimait le combat, plus que, les combats de toutes sortes - les jeux d’influences n’en étaient qu’une autre sorte - mais par-dessus tout celui qui impliquait le physique et les armes.

Toutefois, la réponse de la femme fût d’abord matérielle. Elle avança d’un pas en ôtant sa cape, révélant quelques petits détails. Son regard exercé nota d’abord son arme, et ensuite seulement ce qui était prisonnier dans son dos. Des ailes. Noires, comme celle des Anges Déchus. Qu’est-ce qu’une Déchue pouvait bien venir fabriquer ici ? Avec un tel harnachement sur le dos, qui plus est, songea-t-il en examinant brièvement le dispositif de cuir qui retenait ses membres à plumes. Toute l’affaire était décidément bien étrange, et ce fût avec attention quoique sans se départir d’un certain détachement clinique qu’il la regarda s’épousseter et s’étirer, à quelques foulées seulement de lui. Si proche qu’il aurait pu attaquer de suite, mais pour quoi faire ? Laisser les choses suivre leur cours si imprévisible promettait d’être encore plus intéressant, et ils pourraient toujours combattre plus tard…

« Ce que je fais en ces lieux, vous dites bien ? Oh, simplement du nettoyage, Calarenne. »

Du nettoyage ? Il leva un sourcil inquisiteur, mais n’eût pas le temps de poursuivre son interrogatoire devant cette réponse aussi mystérieuse qu’énoncée avec le plus parfait naturel. Une lumière puissante, aveuglante même, s’échappa de la chaumière toute proche, lui faisait plisser les yeux. Il se passait vraiment des événements bien incongrus dans ce coin des territoires elfiques. Sa curiosité commençait même à devenir professionnelle. Tout cela finissait par faire beaucoup, et il allait se faire un plaisir d’éclaircir un peu tout cela, quitte à devoir prendre les mesures qui s’imposaient, ou même revenir plus tard, avec une armée pour l’aider à les prendre. Après tout, qui savait, cela pouvait être un acte de guerre de la part des Anges Déchus. Ou d‘un groupe de renégats divers. Ou de

« Vous m'excuserez... Mais je n'ai plus le temps de bavarder. »

Et sur ces mots, elle se détourna, se mettant aussitôt à courir, tout en dégainant son arme. Elle ne fuyait pas. Calarenne aperçu une ombre derrière elle, et c’était de toute évidence vers celle-ci que l’inconnue aux ailes noires courrait. Son sourire revint étirer légèrement ses lèvres, animé d’un amusement sardonique et de la dureté de l’acier, comme tant de choses chez lui.

« On dirait que je vais être obligé de vous le faire prendre, alors… Moi j’ai tout mon temps pour bavarder avec vous… »

Il avait parlé normalement, de sorte que, éloignée comme elle l‘était, elle ne l‘avait sans doutes pas entendu. Cela n‘avait pas le moindre soupçon d‘importance, de toute façon. D‘un léger mouvement des jambes, il incita son cheval à suivre la femme, et, quelques instants plus tard, il le stoppa juste avant d‘arriver à l‘endroit où les routes de la silhouette qu‘il voyait maintenant être celle d‘une Elfe - il reconnaissait les siens presque n‘importe où et n‘importe quand, maintenant - et l‘être ailé qu‘il avait trouvé ce jour-là sur sa route, de façon bien inattendue...